Interview : Brice Alzon, les services à domicile à l’épreuve de la crise sanitaire
Vice-président de la FESP (fédération du service aux particuliers) et Président de la MDSAP (Maison des Services à la Personne), Brice Alzon agit pour le développement des acteurs du secteur. Pour Bonjoursenior.fr, il revient sur les enjeux et les difficultés rencontrés par les entreprises de services à la personne en cette période de crise sanitaire.
Pourriez-vous nous présenter la FESP ainsi que ses membres ?
La Fédération des entreprises de services aux particuliers est une fédération historique des entreprises de services à la personne. Nous fêtons cette année notre vingt-cinquième anniversaire. Tous les types de métiers sont représentés : aussi bien le maintien à domicile que le portage de repas, le transport véhiculé, tout ce qui a trait aux personnes âgées ainsi que les entreprises qui s’occupent de jardinage, de service informatique, d’aide administrative, de garde d’enfant et de prestations de ménage à domicile.
Nous représentons également tous les types de modalités de services : le mode mandataire, le mode prestataire et le mode particulier-employeur.
Quel rôle jouez-vous au sein de la FESP ?
Je suis, via mes entreprises, Maison des Services À la Personne (MDSAP) et Coviva, le vice-président membre du bureau de la fédération du service aux particuliers, qui représente 48 % des entreprises du secteur.
J’emploie mon temps à stabiliser le secteur et à veiller à ce que les entreprises soient mieux reconnues et mieux valorisées.
Quel rôle les entreprises de services aux particuliers jouent-elles dans le maintien à domicile ?
Historiquement, depuis l’après-guerre, le maintien à domicile est un secteur porté par le milieu associatif, avec des structures comme l’ADMR (Aide à Domicile en Milieu Rural) ou l’UNA (Union Nationale de l’Aide). Le monde de l’entreprise est arrivé de façon beaucoup plus tardive, dans les années 90-95, avec de nouveaux réseaux comme ADHAP ou Âge d’Or Services. En 2005, la loi Borloo a initié une nouvelle vague dans ce secteur, avec l’arrivée d’entreprises telles que Senior Compagnie, Petits-Fils, Ameli, APEF… ainsi que mon entreprise Coviva.
Qu’il soit associatif ou privé, l’accompagnement à domicile est de qualité. Ce qui importe, c’est la pertinence du recrutement des assistantes de vie. Nous, entreprises, portons une attention toute particulière aux formations diplômantes ainsi qu’à l’accompagnement professionnel de nos intervenants afin qu’ils/elles bénéficient de la meilleure compétence et du meilleur savoir-faire possible auprès de nos bénéficiaires.
C’est l’un des éléments clés que nous mettons en avant à la FESP : la professionnalisation du secteur. C’est ce que nous appelons la valorisation et l’attractivité des métiers. Cela doit passer par l’apprentissage, premier élément clé, par des actions auprès des plus jeunes, deuxième élément clé, ainsi que la revalorisation des salaires, troisième élément clé.
Comment le secteur des services aux particuliers a-t-il supporté la crise sanitaire ?
Il y a eu deux phases avec la covid-19. La première période, avec le confinement de mars 2020, a été extrêmement difficile à gérer. Les intervenants ne trouvaient pas de masques. Nous ne savions pas du tout comment aller évoluer cette pandémie. Il y avait déjà beaucoup de décès en EHPAD (Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes), ainsi que des zones rouges dans l’est de la France, avec des villes comme Mulhouse, et l’extrême inquiétude de nos intervenants sur la manière d’agir.
Cela a été une période extrêmement compliquée émotionnellement pour nos intervenants comme pour les responsables d’agence. Nous ne savions pas où nous allions. Cela a généré un réel épuisement ainsi qu’un très grand stress pour tous les acteurs. À ce moment-là, il y avait les gens qui applaudissaient aux fenêtres le soir à 20h. Certes, cela faisait du bien, mais nous ne sentions pas le soutien des pouvoirs publics pour les métiers du maintien à domicile. On parlait alors surtout des EHPAD, et nos intervenants avaient le sentiment d’être abandonnés. Une prime a été accordée aux personnels des EHPAD, et nous nous sommes battus pour l’étendre à nos intervenants. Nous avons finalement été entendus, mais cette première période a été très compliquée.
La deuxième période, qui s’étend jusqu’à maintenant, apparait beaucoup plus structurée. On ne rencontre plus de problèmes de masques. Nos intervenants ont acquis un savoir-faire et savent très bien appliquer les gestes barrière. Ils ont des consignes strictes à respecter : le port de la blouse, un temps maximum pour le port du même masque, se laver plusieurs fois les mains chez les bénéficiaires… Toutefois, avec la difficulté et l’angoisse que vivent les familles, les aidants et tout l’écosystème, la période se révèle d’autant plus difficile pour nos intervenants qu’il est nécessaire d'accompagner.
À l’inverse, et c’est important de le souligner, il y a eu aussi eu des signaux très positifs du Gouvernement, puisque les intervenants ont bénéficié d’une prime en fin d’année. Ça leur a permis de se sentir valorisés dans leur métier. Pour rappel, nous sommes sur des métiers à faibles revenus, et ce coup de pouce a fait beaucoup de bien à nos intervenants.
Qu’il s’agisse de vos bénéficiaires ou de vos salariés, que pensez-vous du déploiement de la vaccination sur le terrain ?
Il fallait vacciner en priorité, et à juste titre, les seniors en EHPAD. C’est assez logique, car ils sont tous hébergés au même endroit et la logistique est donc plus facile à déployer. Sauf que cela a été décidé pendant les vacances de Noël. Or, à ce moment-là, le personnel n’était pas disponible et les seniors souvent absents. Ça n’était pas la bonne période pour vacciner dans les EHPAD. Et nous avons perdu quinze jours… Puis à partir du 15 janvier, la vaccination aux personnels soignants et à nos intervenants a été ouverte. Mais cela est encore très récent. Pour l’heure, on privilégie la vaccination des personnels de plus de 50 ans car le nombre de doses disponible est limité. Jusqu’à présent, en France, on a vacciné 1 400 000 personnes.
D’autre part, le Gouvernement a « zappé » un élément majeur, d’où mon « coup de gueule » il y a quinze jours : le seul vaccin disponible actuellement sur le marché, le Pfizer, doit être conservé à -70° C. Or, nombre de nos bénéficiaires sont dépendants à domicile et ne peuvent pas se déplacer. Nos intervenants ont pu être vaccinés car ils sont mobiles. Nos entreprises ont dû trouver des solutions. Il faut saluer les intervenants qui ont déployé des moyens de transport pour déplacer ces personnes dépendantes vers les centres de vaccination.
Ensuite, il faut également souligner que la partie opérationnelle est compliquée. Pour se faire vacciner, il est nécessaire de s’inscrire sur le site sante.fr. Pour vous comme pour moi, c’est facile. Mais pour une personne en situation de dépendance… Prenons l’exemple de ma mère. Il y a quelques années, elle répondait à ses emails, elle était sur les réseaux sociaux, elle utilisait un smartphone… mais depuis qu’elle est dépendante, l’ordinateur et le smartphone, c’est terminé. Il y a une vraie rupture technologique lorsqu’on devient dépendant. Comment voulez-vous que ces personnes-là s’inscrivent en ligne pour se faire vacciner ? C’est insensé cette méconnaissance du terrain.
Par ailleurs, il est nécessaire de recueillir leur consentement. Mais de quelle façon ? Elles sont malades, elles n’ont pas de consentement éclairé… Nous, entreprises de service à la personne, nous ne pouvons pas prendre le risque, d’un point de vue juridique, ainsi que par rapport aux familles, d’inscrire nous-même ces personnes. L’inscription de ces bénéficiaires à la vaccination pose donc un problème d’un point de vue éthique et juridique. Nos intervenants doivent alors prendre contact avec les médecins traitants, les infirmières à domicile ou bien solliciter les familles. Mais comprenez bien que nos intervenants ont plusieurs bénéficiaires à charge chaque jour. On leur ajoute une mission qui ne relève pas de leurs compétences.
Donc que fait-on ? On vaccine ? On ne vaccine pas ? On prend le risque ? On ne le prend pas ? Rien n’est clair et c’est dommage. C’est ce que vivent nos intervenants, nos entreprises et nos bénéficiaires. C’est compliqué en termes de choix, autant pour nous que nos intervenants.