Interview : Morgane Hiron du collectif Je t’Aide
Le collectif Je t’Aide regroupe une trentaine de structures engagées dans le soutien aux aidants.
Morgane Hiron, déléguée générale du Collectif nous présente ses missions, ses objectifs ainsi que ses attentes.
Quand et comment est né le collectif Je t’Aide
Le collectif je t’Aide a été créé en 2015. Au départ, son action était centrée autour de la JNA (Journée Nationale des Aidants) qui a lieu chaque 6 octobre. Au fil des années, ses missions se sont élargies autour de deux axes principaux. D’une part, faire avancer les droits des aidants, d’autre part, améliorer la visibilité des aidants dans la société.
Le collectif Je t’Aide représente actuellement 27 structures membres, principalement des associations mais aussi des fondations et des groupes de protection sociale. Chaque année, nous rédigeons un plaidoyer thématique. Cette année, il porte sur l’isolement social des aidants. Nous portons dix propositions concrètes auprès des pouvoirs publics et des élus et nous interpellerons les candidats à l’élection présidentielle sur ces questions.
Pour rendre davantage visible les aidants nous mettons en place chaque année une grande campagne de sensibilisation ainsi qu’une campagne digitale avec des influenceurs afin que le mot « aidant » soit mieux connu de tous. Cette année, en août, 2 000 affiches étaient présentes dans les abribus. Nous mobilisons par ailleurs différentes structures lors de la journée nationale des aidants.
Quelle est votre définition de l’aidant ?
Il s’agit de toute personne qui aide de manière régulière et fréquente, une personne malade, handicapée ou en perte d’autonomie, à titre non professionnel, pour des actes de la vie quotidienne. En France, on estime à 11 millions le nombre d’aidants. C’est toutefois un chiffre qui est sous-estimé et, qui risque d’augmenter dans les prochaines années…
Quelles sont les objectifs visés par le collectif ?
L’objectif est d’acquérir plus de droits et les faire connaître auprès des aidants. Nous mettons en effet un point d’honneur à défendre et à obtenir plus de droits (droit au répit, congé, aménagement sur le temps de travail…). Il faut savoir que 62 % des aidants exercent une activité professionnelle et on estime qu’en 2030, un quart des actifs seront des aidants.
Il faudrait par ailleurs augmenter le nombre de places pour accueillir les personnes aidées en structure spécialisée, simplifier les procédures administratives, améliorer les prises en charge…
Quelles actions mettez-vous en œuvre pour mener à bien ces objectifs ?
Dans chaque plaidoyer annuel, nous faisons des propositions concrètes au Gouvernement ainsi qu’aux pouvoirs publics. Nous portons ces messages à l’échelle nationale, nous organisons des conférences, et dans le cadre de la présidentielle, nous interpellons les candidats à l’élection afin qu’ils se positionnent sur ces sujets.
Nous participons activement à plusieurs groupes de travail ministériels afin de mettre en œuvre le Plan Agir pour les Aidants que nous avons participé à construire. Nous sommes des interlocuteurs privilégiés du Gouvernement sur ces questions.
Pour augmenter la visibilité des aidants, chaque année, nous organisons une campagne nationale d’affichage sur 2 000 abribus pendant une semaine d’été. Nous organisons par ailleurs des campagnes digitales avec des influenceurs ou des personnalités, nous produisons des articles, des podcasts, des vidéos… Nous nous mobilisons aussi autour de la JNA et nous organisons un appel à projet où chaque année nous récompensons cinq structures qui vont accompagner les aidants et mettre en valeur les initiatives existantes.
Après la santé en 2018, la précarité en 2019, le répit en 2020, le thème pour 2021 concerne l’isolement social. Quelles en sont les grandes lignes ?
Chaque année, les aidants choisissent le thème du plaidoyer via une consultation en ligne. Le choix de l’isolement des aidants est venu de deux constats majeurs.
D’un côté, on constate un déficit de protection des aidants : pas de répit, pas assez de droits aux congés, pas assez de mesures pour concilier vie personnelle, vie professionnelle et vie d’aidant. Par ailleurs, le statut d’aidant manque de reconnaissance : sentiment de ne pas compter pour les autres, de ne pas être reconnu dans son travail... 48 % des Français connaissent le mot « aidant » mais 38 % seulement en connaissent la définition exacte. Avec ces chiffres, on constate que le terme aidant n'est pas connu de l’ensemble de la population, ni des pouvoirs publics, ni des professionnels de santé ou de l’Éducation nationale. Il y a donc un véritable enjeu à faire reconnaitre les aidants.
L’une des principales raisons à l’isolement social des aidants, c’est leur manque de temps. Ils prennent en charge leurs proches et n’ont plus de temps pour eux-mêmes et leur vie sociale. Il s’agit d’un cercle vicieux qui entraine leur retrait progressif de la vie de la cité.
Le premier confinement a accru cet isolement social. Certains établissements fermaient mais les aidants ont dû continuer à prendre soin de leur proche. Et même lorsque les restrictions ont été levées, ils sont restés confiné afin d’éviter de contaminer leur proche…
Plusieurs conséquences à cela. Un danger pour leur santé mais aussi pour la société. En effet, les retards de soins s’accumulent et il est parfois trop tard. Certains aidants se sentent abandonnés, perdent confiance dans les institutions. Ils ne vont plus voter, ne s’appuient pas sur les dispositifs d’aides existants.
Comment expliquer la place majoritaire des femmes dans le rôle d’aidant ?
On estime que 58 % des aidants sont des aidantes. On note par ailleurs que plus la charge est lourde, plus la part des femmes augmente en tant qu’aidant. 39 % des aidants s’occupent en effet de deux proches ou plus.
On peut expliquer cette majorité de femmes par l’assignation sociale et culturelle des femmes à toutes les dimensions du « care ». Il s’agit d’une conception genrée où l’on considère que les femmes sont plus enclines à prendre soin des autres en raison de « l’instinct maternel », du fait qu’elles seraient plus douces, que le don de soi serait naturellement plus fort pour les femmes que pour les hommes...
Dans les couples de parents avec un enfant en situation de handicap , ce sont généralement les femmes qui vont réduire leur temps de travail, voire cesser leur activité, généralement en raison de leur revenu moins élevé. Cela montre combien les inégalités et les préjugés sont cristallisées dans la société.
Comment les aidants ont-ils traversé la crise sanitaire ?
Le premier confinement a été très difficile pour les aidants. Plusieurs structures ont fermé et certains aidants ont parfois été obligés de prendre en charge un proche à domicile. Les moyens pour accompagner les aidants ont été réduits. Ils ont parfois été obligés de réaliser des gestes techniques et médicaux qui, en temps normal sont réservés aux professionnels de santé (piqûres, changement de pansement…).
Cela a été vécu avec stress parce qu’ils ne sont pas formés à ces gestes. Il y avait également la peur de contaminer son proche. 61 % aidants interrogés ont ainsi indiqué un niveau d’inquiétude élevé*.
* https://associationjetaide.org/2020/06/30/etude-nationale-aupres-des-proches-aidant-e-s-sur-les-consequences-de-la-crise-sanitaire-covid-19
Selon votre collectif, quels sont les grands axes à développer pour soutenir les aidants ?
Parmi les différents défis, nous pouvons en citer plusieurs :
- Lancer une grande enquête nationale pour réactualiser les statistiques, la dernière datant de 2008. Cela permettrait de mettre en avant les problèmes des aidants et de saisir l’ampleur du phénomène car beaucoup d’aidants n’ont pas été comptabilisés dans les chiffres de 2008.
- Améliorer la visibilité des aidants : Seulement 48 % des Français connaissent le terme « aidant ». L’objectif du collectif Je t’Aide est que 100 % des Français connaissent le terme et prennent conscience qu’ils ont des aidants dans leur entourage et parfois même, qu’ils le sont eux-mêmes.
- Former et sensibiliser l’ensemble de la société, et notamment les personnels de l’Éducation nationale, les professionnels de l’emploi, en particulier les managers ainsi que les professionnels de santé.
- Simplifier les démarches et le financement de structures de répit afin de permettre aux aidants d’avoir un véritable choix car il n’existe que très peu de solutions alternatives.